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jeune homme qui, ardent, indomptable, aimé de doña Rosario, pouvait peut-être remplacer le sénateur dans l’exécution de son plan audacieux. Il regretta de s’être laissé maîtriser par les événements, et au moment où le dernier des Mediana, après lui, eut disparu devant ses yeux, il regretta par orgueil l’héritier de son nom retrouvé tout à coup si digne de le porter. Personne après lui ne devait en perpétuer le souvenir. À la veille de monter d’un échelon de plus par la conquête du val d’Or qu’il savait près de lui, ce regret se faisait encore plus vivement sentir. C’est ainsi que l’ambition ne sait que creuser dans le cœur un vide pour en combler un autre.

Ce n’était pas cependant le seul souci qui préoccupait don Antonio de Mediana. L’absence de Cuchillo était aussi pour lui un objet d’inquiétude.

Une pensée de perfidie qu’il avait su dissimuler à la pénétration de don Antonio, mais que celui-ci commençait à entrevoir, et c’était là aussi ce qui le rendait pensif, avait conduit le bandit hors du camp.

Cuchillo avait su se ménager une avance considérable sur les Indiens. Tant qu’il s’était vu éloigné du camp de don Antonio de Mediana, il avait lancé son cheval à toute course ; mais dès qu’il aperçut, à travers la haie de cactus et de buissons de bois de fer, le retranchement élevé par ses compagnons, il ralentit alors son allure pour ne pas décourager la poursuite dont il était l’objet.

La distance qui le séparait du camp était encore assez grande pour qu’il ne pût être aperçu d’aucune des sentinelles qui veillaient alentour. Quand il vit les Indiens qui galopaient après lui retenir aussi leurs chevaux à l’aspect de la colonne de fumée, indice certain de la présence des guerriers blancs, il s’arrêta tout à fait. Il entrait dans son plan de ne rentrer parmi les siens que le plus tard possible, afin de ne donner l’alarme qu’au dernier moment. Il connaissait assez les habitudes des Indiens pour jouer de sang-froid ce jeu dangereux. Il savait qu’ils n’attaquent