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hourras de triomphe, au bruit du canon et des acclamations des habitants et de la garnison du préside.

Aucune précaution cependant n’avait été omise par don Estévan, qui semblait doué du don de tout prévoir. Jusqu’alors, dans ces sortes d’expéditions, chaque homme agissait pour ainsi dire isolément, ne s’en rapportant qu’à lui-même et à son cheval du soin de sa défense. L’Espagnol avait discipliné ces aventuriers et les avait forcés à l’obéissance envers lui ; les chariots qu’il avait achetés servaient de moyen de transport et de défense. C’est ainsi que voyageaient jadis les anciens peuples du Nord dans leurs marches envahissantes vers le midi de l’Europe. Don Estévan avait importé cette tactique des États-Unis, dont les habitants semblent prédestinés à parcourir comme à peupler les déserts du continent américain. Aussi, sous la direction habile et puissante que ce chef avait imprimée à cette dernière expédition, aucune de celles qui l’avaient précédée n’était encore parvenue aussi avant dans le désert.

La responsabilité qui pesait sur don Estévan, qu’on vient de voir entrer d’un air pensif sous la tente dressée pour lui, eût suffi seule pour amasser des nuages sur son front, mais peut-être pensait-il plus au passé qu’au présent ou à l’avenir.

Don Estévan avait pu comparer l’énergie de Fabian avec la pusillanimité du sénateur Tragaduros ; entraîné par le cours des événements, il n’avait songé qu’à écarter son neveu de sa route. Quand le jeune homme eut disparu dans le gouffre, après avoir jeté une outrageante menace au frère de son père, celui-ci avait senti tout à coup un vide immense.

Une blessure mal fermée venait de se rouvrir dans son cœur. Arrivé au sommet des grandeurs du monde, une chose lui manquait. Quoi qu’il eût fait pour se le dissimuler, l’orgueil de la race revivait en lui. Son neveu mort, une vive sympathie s’était emparée de lui pour le