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devaient prendre. Jusqu’alors, parmi les ennemis qu’ils avaient combattus dans cette dernière campagne, il n’y avait pas deux hommes à qui pût s’appliquer le portrait que l’espion avait fait de Bois-Rosé et de Pepe le Dormeur. Le plus jeune des dix chefs, appelé à donner son avis le premier, aspira lentement la fumée de sa pipe, et dit :

« Les blancs ont tantôt les jambes du cerf, tantôt le courage du puma, ou les ruses du chacal. Ils ont su dérober leurs traces depuis deux jours à des yeux qui pourraient reconnaître celles de l’aigle dans l’air ; c’est encore une ruse de leur part de disséminer leurs guerriers sur la surface du désert ; c’est vers l’ilot de la rivière de Gila qu’il faut aller les chercher. J’ai dit. »

Après un moment de silence, un des autres chefs prit la parole :

« Les blancs ont sans doute mille ruses à leur service, dit-il ; mais ont-ils celle de grandir leur stature ? Non. S’ils pouvaient au contraire se faire si petits que l’œil indien ne pût les apercevoir, ils le feraient. Nos ennemis arrivent du sud ; ceux qu’on vient de découvrir arrivent du nord ; ce n’est donc pas vers l’îlot qu’il faut marcher. »

Au milieu de ces deux avis contradictoires, les hurlements des Indiens, à l’aspect de Cuchillo, éclatant tout à coup, forcèrent les chefs apaches à suspendre leurs délibérations jusqu’au moment où les guerriers qui avaient poursuivi le bandit revinrent apporter la nouvelle qu’ils avaient retrouvé la trace du camp des blancs. Alors le second chef qui avait parlé, homme d’une haute stature et d’un teint plus foncé que la plupart de ses compatriotes, ce qui lui avait fait donner le nom de l’Oiseau-Noir, reprit :

« J’ai dit que les hommes qui viennent du nord ne pouvaient faire partie de ceux qui viennent du sud. J’ai toujours vu le sud et le nord ennemis l’un de l’autre comme les vents qui soufflent de ces deux côtés. Envoyons un exprès aux trois guerriers de l’île pour qu’ils se joignent à