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Pour ne pas fatiguer davantage l’attention du lecteur, et ne pas présenter plus longtemps à ses yeux des ombres silencieuses, nous rendons à ces ombres d’abord la pensée, puis la parole et enfin l’action simultanée. Poussés vers un même but, les uns par un intérêt contraire, les autres par une intention rivale, ces divers groupes de personnages, isolés ou réunis, vont bientôt se choquer comme les lames, soulevées par des vents opposés, se heurtent et se brisent les unes contre les autres, dans l’immensité de l’Océan.

Par suite d’une manœuvre habile de Pedro Diaz, l’expédition, à la veille d’arriver au val d’Or, avait pu dissimuler aux Indiens la direction qu’elle suivait depuis deux jours. Mais soixante compagnons, avec lesquels Cuchillo devait partager, ne faisaient pas le compte du bandit ; il fallait en diminuer le nombre, et, sous prétexte de reconnaître la route, il s’était séparé depuis deux jours de ses camarades. Plein de confiance dans sa connaissance pratique de ces déserts et dans l’agilité de son cheval, Cuchillo voulait attirer de nouveau les Indiens sur les traces de l’expédition.

C’était pour lui indiquer sa route en cas d’accident qu’on avait allumé dans le camp un feu dont la fumée devait le guider ; c’était pareillement pour battre la campagne et le retrouver que don Antonio de Mediana avait envoyé le messager qu’on a vu s’éloigner des retranchements. Cuchillo, en effet, était le seul parmi tous ces aventuriers, qui pût servir de guide à l’expédition et la conduire au val d’Or. Une pensée plus audacieuse germait aussi dans le cœur de Cuchillo ; mais l’exécution de son projet ne devait le conduire qu’à un affreux châtiment, qu’il méritait si bien. Ce n’est pas encore le moment d’en parler.

Un coureur, nous l’avons dit, était arrivé avec des nouvelles en apparence importantes au camp des Indiens. Ce coureur, en cherchant les blancs qu’il poursuivait, s’était avancé jusque sur les bords de la rivière ; caché par les