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s’était arrêté pour viser ; il eut bien un instant l’idée de recharger sa carabine ; mais, dans l’ardeur de la vengeance qui le poussait, il craignit que cette opération ne lui fît perdre du temps, et au cas où, contre toute probabilité, l’assassin n’eût pas été seul, il s’en rapportait à la vigueur de ses membres pour égaliser les chances.

Cette fois, négligeant toute précaution, puisque son rifle avait constaté sa présence, semblable au chasseur qui, pour s’emparer du gibier que son fusil vient d’abattre, s’élance par-dessus les haies et les fossés, Bois-Rosé se frayait un passage dans le fourré et écrasait comme des herbes de jeunes arbres qui eussent arrêté un homme ordinaire. Les buissons, les pousses des arbres, les lianes, foulés par ses pieds, renversés par son corps, craquaient de tous côtés.

Cependant il lui avait semblé entendre un animal faire également bruire les halliers. En effet, il aperçut un cheval effaré qui bondissait çà et là, sans cavalier, et dont les branches des arbres qui le fouettaient, les étriers qui battaient ses flancs, redoublaient la terreur. Dès lors sa balle avait évidemment démonté le cavalier.

Tout à coup un sifflement particulier se fit entendre, et le cheval s’arrêtant court, les naseaux au vent et l’oreille tendue, s’élança vers l’endroit d’où était parti le sifflement. Bois-Rosé suivait l’animal, qui l’eut bientôt laissé en arrière, puis s’arrêta.

Encore quelques bonds, et Bois-Rosé arrivait à l’endroit où il croyait trouver le cavalier démonté et l’achever sans pitié, pour mettre Tiburcio à l’abri de nouvelles attaques. Il entendait déjà le bruit de la respiration haletante d’un blessé ; bientôt il vit, à travers les feuilles, le cheval s’abaisser vers la terre, se relever et bondir de nouveau ; mais cette fois le cavalier à la veste de cuir se trouvait en selle, et, en un instant, l’homme et le cheval disparurent dans les profondeurs de la forêt.

Trompé dans son espoir de vengeance, Bois-Rosé, tout en proférant d’énergiques malédictions contre le