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continuait à s’avancer rapidement ; mais en vain son œil exercé plongeait dans les rares échappées de ce dédale inextricable de troncs serrés, de lianes et de feuillages touffus enchevêtrés les uns dans les autres, nul ennemi ne se montrait.

En vain il prêtait une oreille habile à deviner tous les bruits qui peuvent retentir dans les bois ; nul autre ne se faisait entendre que le craquement des buissons écrasés sous ses pieds et qui se relevaient après son passage.

Il marcha quelques minutes encore, puis, se jetant à terre, il appuya son oreille contre le sol, et ferma les yeux pour mieux concentrer la puissance de ses sens. Au bout de quelques secondes, il entendit un bruit sourd comme celui d’un cheval qui galopait dans la direction opposée à celle qu’il suivait.

« Pepe ne s’est pas trompé, murmura-t-il en se levant, sans plus hésiter et en revenant rapidement sur ses pas, le drôle a sur moi l’avantage de son cheval, et il tourne notre bivouac ; mais j’ai sur lui l’avantage d’un bon rifle américain, et Pepe en a autant à son service. »

Les arbres fuyaient à la droite et à la gauche du Canadien dans la rapidité de sa course ; comme il suivait une ligne parfaitement directe, et que, d’après les justes suppositions de son camarade, son ennemi en décrivait une courbe, il aperçut un instant, bien qu’à une grande distance, la couleur fauve d’une veste de cuir, qui se montra dans une trouée de feuilles, précisément à la hauteur d’un homme à cheval. Ce but presque invisible lui suffit, et, s’arrêtant subitement, il lâcha la détente de son rifle. La veste de cuir disparut ; mais, comme, pour les hommes de sa nation, viser, c’est toucher, le Canadien ne douta pas un instant que son ennemi ne fût à terre, mort, ou du moins blessé.

La fumée blanchâtre produite par l’explosion tourbillonnait encore à la hauteur des plus basses feuilles des arbres, que déjà Bois-Rosé était loin de l’endroit où il