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à l’heure par ici, et j’espère lui faire voir que j’ai fait quelques progrès dans le maniement de la carabine depuis que j’ai quitté le service du roi d’Espagne et que j’ai été à l’école du Canadien. »

Fabian et Pepe firent halte derrière un bouquet de petits sumacs.

Le jeune comte, l’esprit encore troublé par le peu de mots qu’il venait d’entendre, ne fut pas fâché de ce moment de répit, espérant que l’ex-miquelet en profiterait pour compléter la révélation d’un événement que son silence tenait encore enseveli dans le profond mystère.

Mais le chasseur espagnol se taisait. La vue de celui qu’il avait contribué à rendre orphelin et à dépouiller de ses biens et de son nom, renouvelait des remords que vingt ans n’avaient pas entièrement éteints. Pepe, à la lueur du jour naissant, contemplait, sans ouvrir la bouche, l’enfant qu’il avait vu jouer jadis sur la grève d’Elanchovi.

L’orgueil, la fierté du regard de la mère revivaient dans les yeux du fils, dont la tournure et l’élégant et mâle visage rappelaient ceux de don Juan de Mediana son père ; mais une rude et laborieuse jeunesse avait fait de Fabian un homme bien supérieur en force physique à celui dont il avait reçu la vie.

Pepe se résolut enfin à rompre le silence que lui faisaient garder d’amers souvenirs.

« Restez toujours l’œil fixé vers le sentier qui se perd sous ces arbres, dit-il, et sans détourner la tête, comme nous faisons Bois-Rosé et moi, quand nous causons dans les moments de danger, écoutez attentivement ce que j’ai à vous dire.

— J’écoute, répondit Fabian en se conformant aux instructions de Pepe.

— N’avez-vous pas de votre première enfance des souvenirs plus précis que ceux dont vous avez fait part au Canadien ? reprit l’ancien carabinier.

— J’ai vainement interrogé mes souvenirs à cet égard