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dans un dernier baiser, dans la dernière étreinte, les yeux de doña Luisa se couvrirent d’un voile, l’insensibilité du corps arrêta la douleur de l’âme, elle poussa un faible cri, s’affaissa et tomba évanouie.

Don Antonio, soit que ce dénoûment eût été prévu par lui, soit qu’il ne contrariât pas ses projets ultérieurs, approcha froidement la lampe de la figure pâle et inanimée de la comtesse pour s’assurer qu’elle respirait encore, et, sans se soucier des pleurs silencieux de l’enfant, que la terreur empêchait de crier, il alla fermer le verrou de la porte d’entrée. Cela fait, il ouvrit une armoire en chêne noir qui servait de secrétaire à la comtesse, et ramassa dans les tiroirs les bijoux, l’argent qu’il y trouva, mit à la hâte quelques papiers dans sa poche, puis il fit un paquet de tout le linge de femme qu’il trouva dans d’autres meubles.

Pendant ce temps, l’enfant sanglotait toujours en embrassant sa mère, dont la froide insensibilité était pour lui la source d’une mystérieuse terreur.

La chambre présenta bientôt l’aspect du désordre qui précède un grand voyage. Les tiroirs vidés étaient épars çà et là sur le parquet, les portes des armoires restaient entr’ouvertes ; en un mot, tout y décelait les préparatifs d’un départ précipité.

Après avoir pris toutes ces dispositions, don Antonio s’assit, en essuyant son front, sur le fauteuil qu’occupait la comtesse quelque temps auparavant, et il jeta un regard attentif autour de lui. Quand ce regard rencontra le corps de la comtesse, toujours inanimée, et son enfant la tenant par la main, une idée terrible sembla s’emparer de lui ; il se levait déjà à demi ; puis il se rassit comme si une lutte avait lieu dans son cœur entre deux idées contraires.

Et, pour changer le cours de ses pensées, pour échapper à une tentation irrésistible, il alla précipitamment à la fenêtre, fit entendre un léger sifflement, et quelques secondes après, une tête atteignit le balcon, le dépassa,