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comtesse de Mediana comprit que tout était fini, une torpeur indicible s’empara de son esprit, son corps perdit tout ressort, elle ne pensa plus, n’agit plus, elle n’eut plus d’idée, et, passive et résignée, elle attendit son arrêt en silence. La réaction des émotions violentes qui l’avaient agitée dans cette soirée se faisait terrible et complète.

Dans cette vaste pièce inégalement éclairée, dans laquelle des bouffées de vent s’engouffraient avec un lugubre murmure en faisant frémir les longues draperies, cette femme, la tête passivement courbée devant l’homme tour à tour froid, railleur et emporté, mais toujours implacable, semblait une pauvre créature que son pacte expiré mettait à la merci de l’esprit du mal. Comme elle, la comtesse avait supplié en vain pour obtenir sa grâce, ou même un seul moment de répit ; mais le moment était venu où son âme ne lui appartenait plus.

Aussi, quand elle reçut de don Antonio l’ordre d’éveiller et d’habiller son enfant, elle s’avança vers le berceau, comme si elle n’avait plus la conscience de son existence. Un moment l’idée lui vint de jeter un cri pour appeler au secours ; mais l’instinct plutôt que la réflexion la retint ; le tigre qui la tenait sous sa griffe tenait aussi son enfant, et son large couteau vint faire briller à ses yeux ses lueurs sanglantes. Elle le vit en imagination teint du sang de celui qu’elle aimait plus que la vie, et, à l’horrible pensée qui s’empara d’elle, elle s’approcha de son fils, l’œil morne, la tête courbée et le cœur sans battements.

Ses yeux ne virent plus qu’à travers un voile de larmes le sommeil pur et profond de cet enfant que la scène qui se passait autour de lui laissait insoucieux et calme, et qu’il fallait, par une nuit brumeuse d’automne, arracher violemment à son sommeil pour lui dire un éternel adieu.

Elle commença donc, avec une sollicitude maternelle, à passer ses mains tremblantes sur la figure de son fils pour écarter les boucles de cheveux dont elle était voilée. L’enfant sentit le doux contact des mains de sa mère,