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chambre, dont le calme ne fut plus troublé que par le bruit du vent de la mer qui gronde sans cesse au sommet des hautes falaises d’Elanchovi.

La comtesse, perdue dans sa rêverie, n’entendit pas un bruit sourd au dehors qui se mêlait de temps à autre au sifflement plaintif de la brise de nuit contre les vitres. Puis ce bruit, d’abord étouffé, sembla monter jusqu’au balcon ; la fenêtre s’ouvrit violemment, une bouffée de vent s’engouffra dans la chambre, fit remonter la lumière de la lampe en une langue de feu jusqu’à l’orifice du verre, et à sa clarté vacillante un homme s’avança devant la comtesse, pétrifiée d’épouvante.

Avant de passer outre, je crois devoir rappeler ici que je ne fais que raconter et que je n’invente pas. On a jusqu’ici trop largement usé de semblables moyens à effet pour que je pusse me permettre de faire paraître une fois de plus sur la scène un de ces héros nocturnes qui affectent de préférer une échelle de cordes à l’escalier pour s’introduire inopinément là où ils sont le moins attendus.

Certes, si tout autre homme que le coureur des bois m’eût fait ce récit, je l’aurais soupçonné de mêler à ses souvenirs des traditions de mélodrames du temps de sa jeunesse ; mais le brave Canadien était né dans le désert et y avait passé presque toute sa vie. Il n’avait été que rarement spectateur, et plus souvent acteur de ces drames accomplis dans les bois ou au milieu des solitudes, dont le dénoûment est rapide comme la flèche ou le casse-tête de l’Indien, ou bien qui durent des journées entières comme des drames allemands, et dont les survivants seuls peuvent raconter les détails.

Je suis donc forcé d’admettre qu’il n’était que le narrateur véridique d’une réalité romanesque. Que le lecteur veuille bien l’admettre comme moi, sans conclure toutefois d’une exception que le mélodrame soit dans la nature.

Si la foudre était tombée aux pieds de la comtesse, sa stupeur n’eût pas été plus profonde que celle qui succéda