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cachet actuel de l’aristocratie espagnole, était debout, le coude appuyé sur le dossier d’un vaste fauteuil dans lequel un jeune enfant était endormi. L’énergie de son regard qui plongeait sur l’enfant : c’était son frère, car l’air de famille était frappant, n’excluait pas l’expression d’une vive tendresse. Ce groupe, qui paraissait être allégorique, était sans doute l’explication animée du blason qu’on voyait à l’un des angles supérieurs du tableau avec cette devise : Je veillerai.

Par une coïncidence singulière, l’enfant endormi dans son berceau offrait une ressemblance frappante avec celui qui, depuis trente ans, dormait dans son fauteuil gothique. La comtesse, en levant les yeux après avoir embrassé son fils, parut remarquer cette ressemblance pour la première fois, car un nuage sombre passa sur sa physionomie, et elle tressaillit.

Et, retirant la lampe dont le reflet éclairait le groupe fraternel, le tableau rentra dans l’obscurité comme une apparition qui s’évanouit.

Il y a dans le silence de la nuit des instants où tout prend des proportions gigantesques. Le plus léger bruit extérieur devient perceptible, le craquement d’un meuble retentit comme un coup de tonnerre. Il en est de même des voix intérieures ! celles qui se taisent le jour se font entendre la nuit, celles qui le jour murmurent à peine, la nuit, deviennent retentissantes comme le clairon. On est forcé de les entendre.

La solitude, le silence, ou bien la vue du tableau, avait-elle éveillé chez la comtesse une de ces voix endormies ? était-ce un remords ? était-ce un pressentiment ? toujours est-il qu’elle sembla, dès ce moment, plus pâle encore.

Cependant, comme si la réflexion avait chassé de son imagination de vaines terreurs, sa physionomie reprit bientôt l’air de fierté qui lui était habituel. Elle se remit à la place qu’elle occupait à l’une des croisées de la