Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome I, 1881.djvu/241

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jamais se marier, et de lui laisser les titres et la fortune de la famille. Mais le bruit de sa mort avait été accrédité par sa longue absence, et son frère aîné, dégagé de sa promesse, n’avait pas voulu laisser éteindre une race antique dont il était le dernier rejeton.

En épousant la femme qui était destinée à son frère, le comte de Mediana avait cru rendre à ce dernier un hommage solennel. Un fils était né de ce mariage.

Don Antonio vit s’écrouler à la fois toutes ses espérances de fortune et le bonheur conjugal qu’il s’était promis. Dans le cœur des ambitieux, la passion toutefois n’occupe que bien peu de place : il n’avait donc regretté que le majorât de Mediana qui échappait, et dédaignait de s’unir à celle dont un autre avait eu la possession. Le désir de faire disparaître l’enfant, qui le condamnait toute sa vie à n’être qu’un cadet de famille, absorbait chez lui tout autre sentiment.

Chargé de conduire en Europe une prise faite dans la mer du Sud, don Antonio de Mediana s’était rendu à bord du bâtiment capturé avec un équipage peu nombreux fourni par le commandant de la corvette sur laquelle il était monté. Il n’avait pas tardé, dans diverses relâches, à augmenter cet équipage d’une trentaine d’aventuriers espagnols, gens de sac et de cordes recrutés çà et là, et ce fut à la tête de ce ramassis d’hommes peu scrupuleux qu’il avait regagné l’Espagne. Il serait trop long de raconter comment il s’était ménagé des intelligences à Elanchovi. Nous reprendrons le récit des événements au moment où, sûr de la discrétion de Pepe le Dormeur, il s’éloigna de la plage, laissant au miquelet le soin de son bateau.

Depuis son veuvage, la comtesse menait une vie plus retirée encore qu’auparavant. Toujours enfermée avec son enfant, elle n’appelait l’une de ses femmes de service que le moins souvent possible, ou à l’heure de ses repas qu’elle prenait dans sa chambre.

À la même heure où se passait la scène entre Pepe le