Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome I, 1881.djvu/235

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

large main à Tiburcio avec un air de franchise et de loyauté qui parlait plus éloquemment que sa bouche, et ce dernier, dans la position où il se trouvait, le remercia avec effusion.

« Un secret pressentiment, ajouta-t-il, me disait que cette lueur que je voyais briller dans la forêt du haut de l’hacienda devait être pour moi une lumière amie.

— Vous ne vous êtes pas trompé, reprit chaleureusement Bois-Rosé. Mais pardonnez à un vieillard des questions peut-être indiscrètes, continua-t-il ; si jeune, n’avez-vous déjà plus de père auprès de qui chercher un asile ? »

Une vive rougeur couvrit, à cette demande, les joues de Tiburcio, qui se tut un moment et reprit :

« Pourquoi ne vous avouerais-je pas qu’entouré d’ennemis de tous côtés, dédaigné d’une femme que j’aimais et que j’aime encore, je suis seul en ce monde, que je n’ai ni père ni mère !

— Ils sont morts ? dit Bois-Rosé d’un air d’intérêt.

— Je ne les ai jamais connus, reprit le jeune homme à voix basse.

— Vous ne les avez jamais connus ! dites-vous, » s’écria le Canadien qui se leva subitement, saisit un tison encore enflammé et l’approcha de la figure de Tiburcio.

Ce tison, tout léger qu’il fût, semblait un poids de cent livres dans la main du géant, tant cette main était agitée de tremblements convulsifs, et Bois-Rosé éclairait successivement avec la flamme toutes les parties du visage du jeune homme, en lui demandant d’une voix que l’émotion faisait trembler aussi :

« Mais vous savez, du moins, dans quel pays vous êtes né ?

— Je l’ignore, répondit Tiburcio. Mais pourquoi ces questions ? Quel intérêt pouvez-vous prendre à des événements auxquels vous devez être aussi étranger que vous l’êtes à ce pays ?