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moi, c’est la vocation de ma vie. Mes pères avaient chassé avant moi, et j’ai repris… après une courte interruption… la profession que m’avaient léguée mes pères… Malheureusement je n’ai pas de fils qui me succède, et, je puis le dire sans orgueil, une noble et forte race va s’éteindre en moi.

— Et moi aussi, comme mon père, je suis chercheur d’or, reprit Tiburcio.

— Oui, vous êtes d’une race que Dieu a faite ainsi, pour que l’or qu’il a créé ne fût pas perdu pour le monde.

— Mon père m’a légué la connaissance d’un endroit non loin d’ici, et si fertile en or, que, si deux chasseurs comme vous et votre compagnon voulaient se joindre à moi, je les ferais plus riches qu’ils n’aient jamais pu le rêver. »

Tiburcio attendait la réponse du Canadien avec la presque certitude de son adhésion, malgré le refus qu’il avait déjà fait à don Estévan en sa présence.

L’honnête Canadien n’avait pas cherché à dissimuler à Tiburcio le plaisir avec lequel il l’écoutait. Celui-ci avait attribué à la cupidité le feu des yeux du chasseur et le sourire qui s’épanouissait sur sa loyale physionomie, et il se trompait. Bois-Rosé, au contraire, en entendant les propositions si tentantes de Tiburcio, n’était séduit que par le son d’une voix sympathique qui résonnait au fond de son cœur comme une mélodie longtemps oubliée, ou comme un de ces chants du pays natal qui viennent tout à coup charmer l’oreille d’un exilé.

L’étonnement du jeune homme ne fut donc pas médiocre quand le Canadien, secouant négativement la tête, lui répondit :

« La proposition que vous me faites séduirait sans doute un homme qui aurait laissé son cœur dans quelque ville. Moi, je n’ai plus de patrie. Les bois et les déserts m’en tiennent lieu maintenant, je n’en veux plus d’autre ; à quoi me servirait donc cet or dont vous me parlez ? Il fut un temps où j’aurais désiré en avoir pour le laisser après moi