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retentit tout à coup. Chacun se lève anxieux et est bientôt glacé d’effroi : toute la partie supérieure de l’Amazone est en feu. D’abord une fumée intense révèle l’incendie en dissimulant les flammes. Mais presque aussitôt elles s’échappent des sabords et de toutes les issues avec une impétuosité qu’excite encore un vent formidable. Les pompes sont mises en jeu, mais inutilement. La confusion est extrême, la certitude de l’échec déjà générale. La flamme va gagner le magasin à poudre ; la mer, déchaînée par la tempête, ne pourra pas porter les chaloupes de sauvetage. La mort est partout. Alors des cris de désespoir se font entendre, alors le vertige s’empare de quelques-uns qui se jettent eux-mêmes dans le brasier ardent, alors commencent les agonies lamentables.

Cependant un voyageur demeure calme et silencieux. Il a déjà vu la mort de si près qu’il la dédaigne. S’appuyant contre un bordage, il contemple l’horrible spectacle, voit impassible les fureurs de l’incendie et attend. Deux des chaloupes de réserves qu’ont envahies beaucoup plus de passagers qu’elles ne peuvent en contenir, ont été englouties par les eaux. Une troisième chaloupe reste. Au moment où, surchargée de voyageurs, elle va s’éloigner, on offre à Gabriel Ferry d’y monter. « Mourir pour mourir, répond-il, je préfère rester ici. » Et il demeure. S’il avait dit oui, il eût été sauvé, car, quelques heures après, cette