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que quelques secondes, car, au bienveillant sourire que lui fit le Canadien, il répondit en lui demandant quel était ce bruit qui l’avait réveillé.

« Ce n’est rien, répondit Bois-Rosé, quoique le ton bas dont il parlait démentît jusqu’à un certain point ses paroles : le cheval aura sans doute été effrayé en sentant quelque jaguar qui probablement rôde près de l’endroit où nous avons laissé les peaux de ses compagnons et celle du mouton dont nous avons mangé un morceau. Cela me fait penser que vous serez peut-être bien aise d’en avoir quelque peu que je vous ai gardé. »

Le Canadien présenta alors à Tiburcio deux tranches refroidies qu’il avait mises de côté sur un lit d’orégano. Cette fois, Tiburcio y fit galamment honneur, et après avoir avalé une gorgée d’eau-de-vie, souveraine, disait son amphitryon, pour réchauffer l’estomac, il se sentit un tout autre homme, Le bien-être matériel qu’il éprouva, grâce à ce repas, et la chaleur du liquide, répandirent une teinte plus riante sur l’avenir et adoucirent l’amertume du passé.

À l’aspect du chasseur canadien qui avait pansé sa blessure avec tant de soin, dont la sollicitude s’était étendue jusque sur sa nourriture, il ne se crut pas si seul, si abandonné ; une secrète sympathie lui disait qu’il avait trouvé un ami puissant et redoutable par sa force herculéenne, son intrépidité et son adresse. Bois-Rosé, de son côté, le regardait manger en souriant de plaisir et sentait son cœur aller au-devant de ce jeune homme.

« Ah çà ! mon garçon, dit le chasseur, les Indiens ont l’habitude de ne demander aux hôtes qu’ils accueillent leur nom et leur qualité que quand ils ont mangé sous leur toit. Vous êtes ici chez moi, vous avez mangé de ma nourriture, puis-je donc vous demander à présent qui vous êtes et ce qui s’est passé à l’hacienda pour qu’on vous y ait fait si mauvais accueil ?

— Volontiers, répondit Tiburcio.