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Le Canadien ignorait encore que Pepe fût ce même miquelet dont il se rappelait la maladresse à son égard. Dans ses confidences on a vu que l’Espagnol n’avait fait nulle mention d’Elanchovi, car il aurait voulu pouvoir retrancher de sa vie la nuit où il avait été de garde à l’Ensenada.

Si Bois-Rosé eût reconnu dans Pepe ce miquelet qui, selon son expression, le canardait cette nuit-là avec autant d’opiniâtreté que de maladresse, nul doute que, d’après cette singulière rencontre, il n’eût espéré plus vivement en un second hasard non moins merveilleux. Mais Bois-Rosé l’ignorait et souriait malgré lui d’une supposition qui transformait le jeune Mexicain endormi sous ses yeux en ce Fabian qu’il regrettait si vivement.

Déjà la fraîcheur de la nuit, qui se fait sentir quelques heures avant le lever du soleil, commençait à tomber comme un manteau de glace, la brume s’épaississait à la cime des arbres, et retombait en froide rosée ; cependant, malgré l’heure qui s’avançait, tout était encore silencieux autour du foyer.

Tout à coup, le cheval attaché renâcla violemment, et les buissons craquèrent froissés par la longe qu’il essayait de briser en traçant au galop un large demi-cercle. Évidemment, un objet, quoique invisible, l’avait effrayé.

Bois-Rosé, subitement arraché à ses méditations, s’avança doucement, l’oreille et l’œil aux aguets ; mais, n’apercevant rien que la lune qui continuait à argenter obliquement le tronc des arbres et à répandre ses rayons furtifs sur les fourrés, il revint s’asseoir à la place qu’il avait occupée. Tiburcio venait de se réveiller.

Bien que ses yeux fussent ouverts, il était évident que son âme était encore dans le pays des songes, car il semblait contempler d’un air étonné ce foyer près duquel il était couché, cet homme endormi à côté de lui et le colosse qui revenait silencieusement à son poste. Toutefois, cette incertitude sur sa position extraordinaire ne dura