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douter de la toute-puissance de la Providence. Pourquoi ne ferait-elle pas encore un miracle ? N’en était-ce pas un qui m’a fait rencontrer sur l’Océan un enfant mourant de besoin sur le sein de sa mère assassinée ? Pourquoi ne le retrouverais-je pas dans toute la force de la jeunesse, et poussé de nouveau vers moi pour me demander aide et protection ? Qui sait ? Les voies de Dieu ne sont-elles pas impénétrables ? »

Comme si cette réflexion eût fait rentrer quelque conviction en son âme, Bois-Rosé se leva de nouveau pour tâcher de démêler encore sur les traits de Tiburcio l’image du jeune enfant que sa mémoire lui représentait toujours avec des joues rosées et des cheveux blonds, mais la clarté du foyer lui remit sous les yeux une chevelure noire qui couronnait un front pâle et ombrageait des joues amaigries.

« Combien de fois, se dit-il à lui-même en reconnaissant son erreur, n’ai-je pas contemplé ainsi mon petit Fabian endormi ? Mais qui que tu sois, jeune inconnu, toi qui éveilles en moi cet espoir, dors tranquille, tu ne seras pas venu t’asseoir à mon foyer sans y trouver un ami ! Que Dieu rende à mon pauvre Fabian ce que je suis disposé à faire pour toi ! »

Le Canadien fut reprendre sa place une fois encore à quelques pas de Fabian, et là, dans le silence majestueux de la forêt américaine, ses souvenirs, réveillés par la présence d’un jeune homme d’un âge égal à celui que devait avoir le fils de la comtesse de Mediana, se plurent à reconstruire les scènes du golfe de Biscaye.

Cette nuit lui rappelait celle pendant laquelle, sous le feu de ce même Pepe le Dormeur, aujourd’hui son compagnon d’armes, il avait ramassé l’enfant qui lui avait été enlevé dans le canot où gisait le corps de sa mère. Sa mémoire, plus fidèle qu’elle ne l’avait été jusqu’alors, lui retraçait presque jour par jour tous les incidents dont les deux années les plus heureuses de sa vie avaient été marquées.