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« J’ai mon affaire, dit l’Espagnol à voix basse, et j’amène le plus beau quadrupède qui ait jamais galopé dans ces bois. Seulement, je crains qu’il ne soit un peu rude à monter ; mais le principal est de l’avoir, quoique ce n’ait pas été sans peine.

Pepe, tout en essuyant son front ruisselant de sueur avec les restes d’un mouchoir, attira de force auprès du feu un magnifique animal, que l’effroi rendait plus magnifique encore ; car, à l’exception de l’homme, qu’en sa qualité de roi de la création la peur avilit et dégrade, elle prête à presque tous les animaux une beauté de plus.

Celui-ci, arc-bouté sur ses fines jambes, qui semblaient vibrer comme des cordes tendues, le cou allongé, les oreilles pointées en avant et au milieu desquelles une mèche de crins tombait sur un œil sauvage, le corps frémissant, les naseaux tour à tour dilatés et resserrés, offrait le type le plus parfait de cette race mexicaine rivale de la race arabe. C’était un animal à faire envie à un pacha.

« J’ai eu la main heureuse, n’est-ce-pas ? dit Pepe d’un air satisfait, tout en attachant solidement le cheval au tronc d’un arbre de fer.

— Pourvu que vous ayez le cou aussi heureux, tout ira pour le mieux, répandit Bois-Rosé, qui, malgré son mépris pour le cheval en général, ne put s’empêcher d’admirer celui-ci ; mais j’en doute. En attendant, faites un somme, car pour moi j’ai assez dormi et je veillerai à votre place.

— Je l’ai bien gagné, reprit Pepe, et je vais suivre votre conseil. »

À ces mots, l’ex-carabinier s’étendit sur l’herbe, et le sommeil ne tarda pas à s’emparer de lui à son tour ; car c’est un hôte qui ne se fait pas attendre dans les bois, en quelque position que l’on puisse s’y trouver.

Quoique rien dans la circonstance actuelle ne justifiât ces mesures de précaution, la force de l’habitude d’une vie pleine de dangers faisait que, même en pays amis,