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sonnages longtemps séparés venaient enfin de se rencontrer.

Fabian de Mediana et le matelot canadien, brusquement arrachés l’un à l’autre depuis vingt ans à trois mille lieues de là, dormaient pour la seconde fois auprès du même foyer. Un mot échappé au hasard pouvait faire retrouver au chasseur l’enfant qu’il regrettait chaque jour, à Fabian de Mediana l’homme qui avait recueilli le corps de sa mère et protégé deux ans sa propre enfance, celui dont le nom était échappé de sa mémoire, mais dont la femme d’Arellanos lui avait, dans ses dernières révélations, rappelé vaguement l’existence.

C’était à peu près au même moment, nous ne devons pas le laisser oublier, où don Estévan allait réveiller le sénateur et l’hacendero pour prendre soudainement congé d’eux.

Cependant la nuit s’avançait ; les constellations qui marquent les heures pour les voyageurs de ces déserts avaient quitté cette portion du ciel qui s’ouvrait au-dessus de la clairière, et s’abaissaient sensiblement vers l’horizon. Le Canadien, qui, selon la recommandation de Pepe, ne dormait que d’un œil, avait plusieurs fois interrompu son sommeil pour jeter un regard autour de lui, mais la lueur du foyer n’éclairait que Tiburcio toujours endormi : Pepe n’avait pas encore reparu.

L’inquiétude et les appréhensions ne sont guère compatibles avec une constitution athlétique comme celle de Bois-Rosé ; aussi avait-il repris autant de fois son sommeil interrompu.

Deux heures se passèrent encore, au bout desquelles un léger craquement de broussailles, un bruit de pas assourdis par le tapis de mousse, et surtout le frémissement des naseaux d’un cheval le réveillèrent de nouveau. Pepe ne tarda pas à se montrer. Il tirait par sa longe un cheval à qui la vue du feu et de deux corps couchés arrachait ce frémissement de terreur.