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L’ex-miquelet, à qui le passé ne semblait pas sourire davantage, quoique pour une cause différente, n’ajouta plus rien à ce sujet, et tous deux, changeant subitement de conversation, se remirent de plus belle à fêter le présent dont le symbole était pour eux l’éclanche de mouton, ou plutôt l’os qui restait seul, ce qui fit que, malgré la bonne volonté des deux convives à prolonger le repas, il fallut bien qu’il arrivât à sa fin.

« Si j’avais le plaisir de connaître personnellement ce don Augustin, qui paraît être le propriétaire de l’hacienda voisine, je lui ferais compliment sur la saveur particulière de ses moutons, dit Pepe en poussant un soupir de bien-être physique, surtout quand on les enveloppe d’une couche d’orégano pour en parfumer la chair ; et, pour peu que ses chevaux soient pour la selle d’une qualité semblable, je n’aurai qu’à me louer de lui en emprunter un.

— Quoi ! dit Bois-Ilosé, n’êtes-vous plus satisfait du vôtre ?

— Non, certes ; vous pensez bien qu’ayant changé notre poursuite en blocus, je dois être au moins muni d’un bon cheval à tout événement ; j’ai là ma selle, et de cette façon nous aurons, comme toute force bien organisée, de l’infanterie et de la cavalerie. Un cheval de moins ne fera pas un vide plus grand dans ces bandes qui galopent au milieu de ces bois qu’un mouton dans ses troupeaux, et à moi il me sera fort utile.

— Eh bien ! dit le Canadien, je ne pense pas que vous fassiez grand tort au propriétaire, et je vous souhaite bonne chance. Quant à moi, je vais tenir compagnie à ce brave garçon, qui dort comme s’il ne l’avait pas fait depuis quinze nuits.

— Personne ne bougera probablement de l’hacienda ; mais cependant ne dormez que d’un œil pendant mon absence, et, s’il y avait du nouveau, trois glapissements de coyote à distance égale l’un de l’autre me feront tenir sur mes gardes. »