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un triste événement… Mais à quoi bon perler de ce qui n’est plus ! le passé est le passé.

— La vie des boisa son charme, j’en conviens, répondit Pepe ; mais je n’aime pas les vocations forcées : ce n’est donc pas de ça que je lui en veux, mais des circonstances qui ont précédé et déterminé la vie aventureuse que je mène depuis quinze ans.

— Chut, interrompit le Canadien en portant le doigt à ses lèvres, il me semble entendre les broussailles craquer : d’autres oreilles que les miennes pourraient écouter vos confidences.

« Ce n’est pas, du reste, un homme qui cherche à se cacher, ajouta-t-il en prenant son rifle par manière d’acquit, car la lune fait briller dans le fourré le moindre brin d’herbe, et il aurait pu voir les branches qu’il écrase en marchant. »

Pepe jeta un coup d’œil dans la direction d’où venait le bruit.

L’œil du chasseur espagnol eut bientôt aperçu une ombre qui s’allongeait sur le tapis vert d’une clairière à environ trente pas de lui.

En toute autre circonstance, il ne se serait pas inquiété de cette apparition, surtout d’après les explications données par le Canadien ; mais celui qui s’avançait venait du côté de l’hacienda, et pour ce motif seul il lui paraissait suspect.

« Qui va là ? s’écria-t-il d’une voix dont le son vibra dans le silence de la nuit.

— Un homme qui vient demander un asile près de votre feu, répondit une autre voix qui n’avait pas la sonorité de celle de Pepe.

— Faut-il le laisser venir ou le prier de continuer son chemin ? demanda ce dernier au Canadien.

— À Dieu ne plaise que nous l’en empêchions ! répondit celui-ci. Peut-être lui aura-t-on refusé l’hospitalité là-bas ; il est seul, et sa voix, qu’il me semble ne pas en-