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m’évadai ; puis, après mille aventures qu’il serait trop long de vous conter, je passai en Amérique, et me voilà.

— C’était donc un homme riche, un homme puissant que vous attaquiez ? demanda Bois-Rosé.

— Oui, oui ! c’était un grand seigneur ; moi j’étais le pot de terre qui se brise contre le pot de fer. Mais dans le désert, il n’y a plus de distinction, et j’espère le lui prouver demain au plus tard. Ah ! si je tenais aussi bien ici un certain alcade don Ramon Cohecho et son âme damnée le seigneur Cagatinta, je leur ferais passer à tous les trois un mauvais quart d’heure !

— Eh bien ! je vous approuve, dit Bois-Rosé en se servant une tranche de mouton rôti d’une taille à rassasier deux hommes, nous remettrons donc à plus tard notre voyage à Arispe.

— C’est, comme vous voyez, une vieille histoire, dit Pepe en finissant, et si depuis dix ans j’ai associé mon sort au vôtre, et si je suis coureur des bois à votre école, après avoir été miquelet de Sa Majesté Catholique, je le dois à cet homme que nous avons vu commander la troupe de cavaliers qui se dirigeait vers cette hacienda. »

Et Pepe montrait du doigt la direction de l’hacienda del Venado.

« Oui, oui, dit le Canadien en riant, je me rappelle le temps où vous auriez manqué un cibolo (bison) à quinze pas, et je crois avoir fait de vous, à présent, un tireur passable, quoique vous confondiez quelquefois l’œil d’une loutre avec son oreille, ce qui ôte toujours du prix à sa fourrure. Mais vous ne devez pas vous plaindre d’avoir troqué la vie de garnison contre la vie des bois. Je n’ai pas toujours été chasseur de loutres non plus. J’étais matelot, comme vous le savez ; eh bien ! je trouve que le désert est comme la mer, ceux qui y ont vécu ne peuvent plus le quitter. »

Puis il reprit après un moment.

« Je n’aurais cependant pas renoncé à la mer sans