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comme bien d’autres : il est savoureux avant qu’on l’ait cueilli, il est amer quand on l’a goûté. »

Il se fit un moment de silence entre les deux chasseurs, et Pepe reprit :

« Il paraît cependant, seigneur Bois-Rosé, que vous n’êtes pas de cet avis en ce qui concerne les Apaches, les Sioux, les Corbeaux et autres ennemis de votre intimité, car votre rifle leur a brisé je ne sais combien de crânes, sans compter les guerriers que votre couteau leur a éventrés.

— Oh ! cela c’est différent, Pepe ; les uns m’ont volé mes peaux ; les autres m’ont à moitié scalpé, tous m’ont fait passer de terribles moments ; et puis, c’est pain bénit que de débarrasser les bois et les plaines de pareille engeance ; mais, quoique j’aie eu à me plaindre presque autant des Anglais, jamais, à moins d’y être forcé, mon rifle n’en tuerait un que le hasard mettrait au bout de son canon, et, à plus forte raison, si au lieu d’un Anglais c’était un compatriote.

— Un compatriote, dites-vous, Bois-Rosé ? c’est une raison de plus ; on ne hait jamais complètement que ceux qu’on est forcé d’aimer par devoir ou par position, toutefois quand on a des motifs pour les haïr ; ceux que cet homme m’a fournis sont de nature à ne pas être oubliés de sitôt, car il y a quinze ans que j’ai juré d’en tirer vengeance. À dire vrai, une telle distance nous séparait, que je ne savais quand je pourrais accomplir mon serment, et je ne m’explique pas encore comment deux hommes, qui se sont connus en Espagne, viennent à se rencontrer dans ces bois. Mais ce jour est arrivé, et, je vous le répète, je ne veux pas laisser échapper cette occasion. »

Pepe paraissait avoir pris si opiniâtrement son parti, que son compagnon vit bien que ce serait peine perdue de vouloir le faire changer de résolution ; et, comme par nature il était d’un caractère facile, et qu’il aimait mieux agir que discuter, il reprit après un moment de réflexion :