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race différente, l’homme dans les veines de qui coulait un sang méridional.

Quoiqu’il portât un costume à peu près semblable à celui de son compagnon et qu’il fût armé de même, son costume indiquait plutôt un cavalier qu’un piéton. Cependant ses souliers lacérés témoignaient qu’il avait dû fournir avec eux plus d’une longue marche.

Le Canadien, tout couché qu’il était sur la mousse, semblait surveiller avec un soin particulier une éclanche de mouton qui, embrochée à une baguette de bois de fer appuyée sur deux petites fourches du même bois, rôtissait au-dessus des charbons ardents, sur lesquels elle laissait tomber un jus savoureux qui sifflait au contact du feu.

Cette occupation ne lui permettait, tant il y mettait de zèle gastronomique, que d’écouler imparfaitement les paroles de son camarade.

« Je vous soutiens, moi, disait celui-ci, qui paraissait répondre à une objection, que, quand on est sur la trace d’un ennemi, qu’il soit Apache ou chrétien, on est sur la bonne voie.

— Mais, répondit le Canadien, vous oubliez que nous n’avons que juste le temps de gagner Arispe pour recevoir le prix d’une campagne de deux ans, et que vous me forcez déjà de faire le sacrifice de nos deux peaux de tigre et de celle du puma.

— Je n’oublie jamais mes intérêts, non plus que les vœux que j’ai faits : et la preuve, c’est qu’il y a quinze ans que j’ai fait celui que j’espère être à la veille d’accomplir. Je compte vivre assez pour faire chaque chose en son temps, seulement je vais au plus pressé. Je trouverai toujours les sommes qui nous sont dues à Arispe, nous pourrons partout vendre ces trois peaux qui vous tiennent à cœur ; mais le hasard, qui m’a fait rencontrer au milieu de ses déserts l’homme à qui j’ai voué tant de haine, ne me fera plus trouver une occasion semblable, si je la laisse échapper.

— Bah ! dit le Canadien, la vengeance est un fruit