Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome I, 1881.djvu/208

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

À une portée de fusil du mur de clôture postérieur, s’élevaient, comme nous l’avons dit, les premiers arbres qui servaient de lisière à une vaste forêt. Elle se prolongeait au loin vers le nord, jusqu’à la limite des déserts au delà desquels est situé le préside de Tubac.

Le chemin à peine frayé qui la traversait dans cette direction, et c’était le seul chemin à suivre pour gagner le préside, était coupé par un torrent encaissé dans deux berges escarpées et profondes, au fond desquelles l’eau mugissait en suivant son cours. Il était formé par le ruisseau qui coulait devant l’hacienda, grossi dans son trajet par d’autres ruisseaux tributaires. Une espèce de pont grossier, formé de deux troncs d’arbres jetés à côté l’un de l’autre, servait de jonction entre les berges, en évitant ainsi au voyageur un long détour qu’il aurait fallu faire pour traverser le torrent dans un endroit guéable.

C’est près de ce chemin, à une égale distance environ du pont jeté sur le torrent et de l’hacienda, autour d’un feu allumé au milieu d’une petite clairière, que nous allons retrouver deux personnages qu’on n’a fait qu’entrevoir un instant, c’est-à-dire les deux intrépides chasseurs de jaguars.

À la même heure où Tiburcio quittait l’hacienda, la forêt était ensevelie dans un profond silence, que troublait seule la voix sourde du torrent qui grondait entre ses berges.

La lune éclairait vivement la forêt. Ses rayons jetaient sur le dais de sombre verdure qui s’étendait à perte de vue une nappe lumineuse, ondoyante comme les vagues de la mer, puis filtraient çà et là par les interstices des arbres. Ils frappaient de leurs lueurs bleuâtres l’écorce grise des palétuviers et des sumacs, éclairaient le tronc rugueux des lièges et le pâle feuillage des bois de fer.

Mille fois brisées par le réseau des branches, ces lueurs tombaient mystérieusement sous les fourrés les plus épais. Les mousses vertes et jaunes renvoyaient des reflets velou-