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la route dans la direction de la lumière qu’on voyait toujours dans le lointain, et don Estévan et Pedro Diaz tournèrent à gauche pour retrouver le cours du ruisseau qu’ils devaient suivre.

« Ce feu indique une halte de voyageurs sans doute, dit Pedro Diaz lorsque Cuchillo se fut éloigné ; mais qui peuvent être ces voyageurs ? Voilà ce que je ne devine pas.

— Des voyageurs comme il y en a tant, répliqua don Estévan d’un air distrait.

— Non, ce n’est pas possible. Don Augustin Pena est connu à dix lieues à la ronde pour l’hospitalité généreuse qu’il se plaît à exercer. Il n’est pas à supposer que, si près de l’hacienda, ces gens n’en connaissent pas l’existence. Ce ne peuvent donc être que des étrangers, ou, si ce sont des gens du pays, cette précaution de s’isoler ne peut cacher que de mauvais desseins. »

Pedro Diaz reproduisait à peu près les mêmes réflexions faites par Tiburcio à l’aspect de la clarté lointaine qui l’avait frappé.

Cuchillo, en continuant à s’avancer vers la lisière de la forêt avec ses deux compagnons, Oroche et Baraja, avait jugé inutile de les gourmander sur leur intempérance.

« Attendez-moi, leur dit-il, je vais cueillir dans ce bois de quoi dissiper votre étourdissement. »

Cuchillo mit pied à terre, et ne tarda pas à revenir les mains chargées d’un fruit oblong, jaune comme la banane en maturité ; c’était celui du jocuistle dont il avait parlé ; puis il le présenta aux deux cavaliers, qui, sur son ordre, en sucèrent le jus acide et savoureux, remède infaillible contre l’ivresse.

En effet, au bout de quelques minutes, les vapeurs qui obstruaient le cerveau des deux ivrognes se dissipèrent comme par enchantement.

« À notre affaire, maintenant, » dit Cuchillo sans perdre de temps à écouter les excuses de ses deux acolytes. Et quand ils eurent gagné les premiers arbres de la forêt :