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encore rappelé le but qu’ils poursuivaient en faisant vibrer chez lui tous les instincts d’ambition, d’amour et de cupidité, lui serra la main et passa chez l’hacendero.

Le bruit des éperons du seigneur espagnol fit ouvrir les yeux à don Augustin, qui, à la vue du costume de cheval de son visiteur nocturne, s’écria :

« Est-il donc l’heure de partir pour la chasse ?

— Non, mais pour moi l’heure a sonné d’une chasse autrement sérieuse que celle des chevaux sauvages, répondit l’Espagnol ; il s’agit de gagner de vitesse l’ennemi de la grandeur de votre maison, l’homme qui abusait de l’hospitalité que vous lui accordiez pour ourdir autour de nous une trame ténébreuse dans laquelle tout pourrait se trouver étouffé, vos projets, les miens, ceux de Tragaduros ! »

On voit que don Estévan présentait l’affaire de Tiburcio sous un jour bien plus sombre à l’hacendero qu’au sénateur. En effet ce dernier devait tout naturellement haïr son rival, partout et toujours, tandis que le riche propriétaire pouvait, à tout prendre, considérer les choses sous un jour plus favorable ou moins lugubre, selon sa tendresse pour sa fille.

« La grandeur de ma maison ! l’hospitalité dont on abuse ! s’écria l’hacendero au comble de la surprise et en saisissant d’une main une longue et large rapière de Tolède suspendue au chevet de son lit, comme l’homme toujours prêt à en appeler à l’épée de son bon droit : — qui menace la grandeur de ma maison ? qui abuse de mon hospitalité ?

— Soyez plus calme, reprit don Estévan en souriant intérieurement du contraste qu’offrait la fougue de cet homme déjà mûr, mais accoutumé à une vie de dangers, avec la pusillanimité du sénateur, l’ennemi n’est plus ici, il a fui et s’est fait justice.

— Mais qui est cet ennemi ? demanda Pena.

— Tiburcio Arellanos !