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— Le moyen de l’en empêcher ! Cette brute de Baraja, ainsi qu’Oroche, étaient ivres de mescal, Diaz a refusé net de se joindre à moi, et, avant que j’eusse pu faire comprendre aux deux ivrognes ce dont il s’agissait, le jeune homme avait pris la clef des champs en escaladant le mur de clôture. C’est du moins ce que nous avons conclu.

— De quoi ? demanda l’Espagnol en frappant du pied.

— Quand nous arrivâmes, doña Rosarita était penchée sur le mur, le visage tourné vers les bois qui s’élèvent derrière l’hacienda, et si le jeune homme, qui a dû s’y diriger sans doute, n’eût pas été bien loin, il est plus que certain que les mots d’amour que sa bouche lui envoyait l’eussent fait revenir.

— Ainsi donc, elle l’aime ! s’écria don Estévan.

— Passionnément, j’en réponds, ou ses paroles et sa voix étaient bien trompeuses. »

Et Cuchillo répéta à don Estévan l’appel passionné mais inutile de la jeune fille à Tiburcio.

« Il faut monter à cheval, Cuchillo, et le poursuivre ; le succès de notre expédition dépend de la vie de ce jeune homme. Allez seller nos chevaux ; vous et vos amis, éveillez Benito, les domestiques, et que, dans une heure au plus, nous soyons tous en selle. Pendant ce temps, je préviendrai don Augustin et le sénateur.

— C’est ainsi que je l’ai connu il y a vingt ans, toujours ardent, toujours plein de mépris pour les difficultés, se dit Cuchillo en quittant Arechiza. Si, avec ce caractère, il n’a pas fait un beau chemin dans son pays, je ne sais pas alors à quoi servent la persévérance et l’énergie. »

En faisant ces réflexions, Cuchillo courut exécuter les ordres de son chef. Celui-ci, après avoir de nouveau revêtu son costume de route, se dirigea vers la chambre du sénateur. La porte était ouverte, comme la plupart le sont dans ces pays, où la vie se passe presque tout entière hors des maisons. La lune tombait en plein à travers les croisées, et éclairait suffisamment la pièce où reposait le sénateur.