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mettre au lendemain ce qu’elle peut faire le jour même ; eh bien ! je ferai de mon mieux. Au fait, tout est tranquille ici, comme si rien n’était arrivé, quoique, à dire vrai, je m’étonne que les cris de cette jeune fille n’aient pas donné l’alarme. »

En effet, grâce à l’heure avancée de la nuit, la lutte entre Tiburcio et ses agresseurs n’avait pas eu d’autre témoin que la fille du propriétaire de cette vaste hacienda, où tout dormait, comme nous l’avons dit, à l’exception des hôtes intéressés à cacher l’attentat qui venait de se commettre.

Tandis que Cuchillo se dirigeait vers l’endroit des communs où se trouvaient ses compagnons, don Estévan reprit le chemin de sa chambre.

La lune brillait tranquillement au ciel, où étincelaient des milliers d’étoiles, et l’air apportait le parfum des orangers, comme si le crime n’eût pas veillé au milieu de cette nuit resplendissante.

Don Estévan se promena longtemps dans sa chambre. Le sénateur dormait dans la sienne avec la quiétude d’un homme qui s’en rapporte aux autres dans les affaires difficiles ; de doux songes berçaient son sommeil.

Don Augustin, de son côté, reposait aussi sans plus se douter que l’heureux Tragaduros, qu’un tendre regard de doña Rosarita, une larme dans ses beaux yeux, une parole de ses lèvres vermeilles eût pu faire écrouler tous leurs projets.

Don Estévan seul parcourait encore sa chambre à grands pas, comme l’ambitieux accoutumé à veiller pendant que les autres dorment, quand Cuchillo frappa deux coups à sa porte. À ses traits bouleversés, l’Espagnol tressaillit : il craignait et désirait à la fois l’exécution de ses ordres.

« Au diable mes vingt onces ! dit Cuchillo ; le jeune homme n’est pas à l’hacienda.

— Il est parti ! s’écria don Estévan, et vous l’avez laissé partir.