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n’existe pas, quelle atteinte avait donc portée ce jeune homme à votre honneur ?

— Que sais-je, moi ? c’était à propos de mon cheval qui… »

Cuchillo s’arrêta comme un homme dont la langue a prononcé une parole imprudente.

« Qui bronche de la jambe gauche, ajouta don Estévan, cette vieille histoire du meurtre d’Arellanos.

— Je ne l’ai pas tué ! s’écria le bandit. J’ai eu peut-être quelques torts envers lui ; mais… je les lui ai pardonnés tous de grand cœur.

— Vous êtes si magnanime ! Mais trêve de plaisanteries ; il faut, voyez-vous, écarter ce jeune homme de notre chemin. Je ne sais quelle espèce d’intérêt je lui portais… malgré moi. Que m’importait, en effet, que, seul comme il est, il partageât un secret avec nous ? Aujourd’hui, j’ai changé d’avis. Je vous ai donné une demi-once pour le sauver de la mort, sans savoir, il est vrai, qui il était ; maintenant je vous en donnerai vingt pour savoir qu’il n’est plus.

— À la bonne heure, nous rentrons dans notre spécialité ! Ne vous fâchez pas, seigneur don Estévan ; mais demain nous aurons bien du malheur si, dans cette chasse aux chevaux sauvages, le sien ne le précipite pas dans quelque fondrière ou ne lui casse pas la tête contre un rocher ou un tronc d’arbre, ou tout au moins ne l’emporte dans quelque endroit d’où il ne reviendra pas. Il est vrai qu’il faudra bien partager un peu avec Oroche et Baraja ; mais je tâcherai que ce soit le moins possible.

— Demain ! répéta impatiemment don Estévan ; et qui vous dit que demain vous appartient ? Eh quoi ! la nuit n’est-elle pas assez longue, ces jardins ne sont-ils pas assez vastes ! N’êtes-vous pas trois contre un ? Qui vous assure que demain je n’aurai pas changé d’avis ! »

Cette menace effraya sérieusement Cuchillo.

« Caramba ! dit-il, Votre Seigneurie n’aime pas à re-