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tages que lui promettait l’influence de Tragaduros dans le sénat d’Arispe, augmentée par ses largesses, tout cet échafaudage s’écroulait devant ce nouvel obstacle qu’il venait de découvrir. Il fallait donc le briser à quelque prix que ce fût et s’emparer de Tiburcio mort ou vivant. L’ambition a de ces terribles exigences auxquelles l’ambitieux doit tout sacrifier.

Restait l’exécution de ce plan. Une fois qu’il l’eut arrêté dans son esprit, l’Espagnol rompit pour la première fois le silence.

« Sot et maladroit ! murmura-t-il assez haut pour que Cuchillo l’entendît.

— Est-ce de moi que Votre Seigneurie daigne parler ? demanda le bandit d’un ton où l’humilité du moment le disputait à son impudence ordinaire.

— Et de qui parlerais-je, s’il vous plaît, si ce n’est de l’homme qui ne sait ni pénétrer un ennemi par la ruse, ni s’en défaire par la force ? Une femme eût accompli ce que vous n’avez su faire. Je vous l’avais dit : cet enfant est un géant près de vous, et sans moi…

— Je ne nie pas que votre intervention ne m’ait été utile, interrompit Cuchillo ; mais aussi, sans votre intervention sur la route de la Poza, Tiburcio ne serait pas pour nous un ennemi à craindre.

— Comment cela ? demanda don Estévan.

— Hier soir, quand je le ramenais en croupe à votre bivac, le jeune homme m’avait menacé, outragé dans mon honneur, et j’allais terminer nos différends par un bon coup de carabine, quand votre envoyé, Benito, l’admirateur des tigres, est venu nous rejoindre de votre part avec un cheval et de l’eau ; je dus renoncer à mon projet. C’était le seul bon, seigneur don Estévan ; la vertu nous porte malheur, cela sort de nos attributions.

— Parlez pour vous, drôle ! dit l’Espagnol dont l’orgueil se révoltait à cette similitude que le bandit essaya d’établir entre eux deux : et, si l’on peut outrager ce qui