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Et il franchit la muraille avant que la jeune fille eût pu s’opposer à son départ.

Étourdie de ce dénoûment imprévu, elle monta sur les décombres entassés au pied du mur, et, se penchant en dehors de l’enceinte, elle s’écria :

« Tiburcio ! Tiburcio ! ferez-vous à votre hôte l’injure de le quitter ainsi ? Voulez-vous appeler sur sa maison la malédiction du ciel ? »

Mais sa voix se perdit dans la nuit sans que celui à qui elle s’adressait daignât lui répondre, tandis qu’il s’éloignait d’un pas rapide.

Elle entendit encore quelques instants le bruit de sa marche ; mais ce bruit cessa bientôt de parvenir aux oreilles de la jeune fille, qui s’agenouilla et pria :

« Ô mon Dieu ! s’écria-t-elle, faites que ce jeune insensé qui s’éloigne sans m’entendre, n’attire pas votre malédiction sur notre maison ! Protégez-le, ô mon Dieu ! contre les dangers qui le menacent. Veillez sur lui, car, hélas ! il emporte mon cœur avec lui. »

Puis, oubliant dans sa douleur ses projets de grandeur, la volonté de son père, les paroles échangées, tout le prestige trompeur qui avait fait taire les cris d’un amour qu’elle avait ignoré jusqu’alors, elle se releva précipitamment, monta de nouveau sur les décombres et s’écria d’une voix déchirante :

« Tiburcio ! reviens, c’est toi seul que j’aime. »

Mais sa voix n’éveilla nul écho. La jeune fille alors s’enveloppa de son rebozo et pleura.

Avant de rentrer dans sa chambre, elle jeta un dernier regard dans la direction qu’avait prise Tiburcio, pour tâcher d’apercevoir une fois encore celui qu’elle n’espérait plus voir revenir ; mais tout était silencieux et sombre.

À l’extrémité de la plaine sur laquelle la clarté des étoiles dessinait la forme fantastique de quelques buissons, la forêt s’élevait comme une ceinture noire couronnée de brouillards et ensevelie dans une épaisse obscurité La