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Mais, là-bas, seul et sans défense, la mort vous attend !

— Dieu m’enverra des amis, dit-il en fixant ses regards sur ce point lumineux qui continuait à briller au loin ; l’hospitalité errante du voyageur endormi près de son foyer sera plus sûre pour moi que celle de votre toit ; dans le désert, je serai l’hôte de Dieu ! »

Et Tiburcio s’avançait toujours vers la brèche d’un pas lent, mais résolu.

« Pour l’amour du ciel, ne vous exposez pas aux dangers qui vous menaceront quand je ne serai plus là pour vous protéger comme tout à l’heure ; je vous le dis, la mort est là-bas. » Puis Rosarita, donnant à sa voix cette douceur persuasive qui change la résolution d’un homme en décision :

« Dans quel endroit serez-vous donc mieux que près de moi ? » dit-elle avec tristesse.

L’énergie de Tiburcio chancela à ces accents de la voix aimée. Il s’arrêta.

« Eh bien ! Rosarita, dites un mot, dites que vous haïssez mon rival comme je le hais, et je reste. »

Un combat violent parut se livrer dans l’âme de Rosarita ; son sein se souleva précipitamment, elle enveloppa Tiburcio d’un long et tendre regard de reproche, mais elle resta muette.

Pour l’homme, à l’âge de Tiburcio, le cœur de la femme est un livre fermé. Ce n’est que lorsqu’il a perdu ce magnétisme de la jeunesse, si puissant malgré l’inexpérience, qu’il peut prétendre à pénétrer les mystères que ce cœur renferme, triste compensation que Dieu accorde à la maturité de l’âge !

À trente ans, Tiburcio fût resté ; mais il n’en avait que vingt-quatre ; il avait vécu ces vingt-quatre ans dans le désert, et c’était son premier amour.

« Eh bien donc, adieu ! s’écria-t-il, j’ai cessé d’être votre hôte. »