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nemis, quand une clarté plus vive jaillit à travers les barreaux de la fenêtre de Rosarita, et vint éclairer la scène d’une lueur rougeâtre.

Ainsi qu’on vient de le voir, Tiburcio avait tout épuisé sans succès auprès de la jeune fille ; plaintes, reproches, promesses, tout avait été inutile ; mais ce dénoûment imprévu devait plaider plus éloquemment sa cause. Il est des lieux communs romanesques, au prestige desquels la femme du jugement le plus solide se laissera toujours prendre. Un flambeau à la main, doña Rosario s’était précipitée sur le théâtre de ces faits si rapidement accomplis.

À l’aspect de Tiburcio qui maintenait sans crainte son attitude défensive, tandis que des gouttes de sang tombaient de son bras armé d’un poignard, son cœur s’émut d’une admiration sympathique. Sa première impulsion fut de se jeter dans les bras de ce jeune homme intrépide et beau, dont la vie était menacée et dont le sang coulait ; mais elle était de celles qui savent étouffer le cri du cœur sous une chaste réserve, dussent-elles en mourir ; Tiburcio fut le seul dont elle parut ne pas s’occuper.

« Oh ! mon Dieu ! s’écria-t-elle, don Estévan, êtes-vous blessé ? Seigneur Cuchillo, seigneur Arechiza, retirez-vous, pour l’amour de la sainte Vierge ! Que tout le monde ignore qu’un crime a été commis dans notre maison ! »

L’agitation à laquelle était en proie la jeune fille, son sein qui bondissait sous le léger tissu dont il était couvert, son rebozo qu’elle avait rejeté en arrière de sa tête et qui laissait flotter en désordre son abondante chevelure, tout cet ensemble en un mot imprimait aux traits de doña Rosario un caractère de fière et sauvage beauté qui commandait le respect. Comme par enchantement, sa seule présence fit rentrer les poignards dans leurs gaines. Cuchillo grondait sourdement comme un dogue muselé ; don Estévan gardait un sombre silence, et tous deux, s’écartant du cercle lumineux qui les entourait, rentrèrent dans l’ombre et disparurent.