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Cuchillo, échappé de sa main, brillait d’une lueur sinistre sans qu’aucun pût s’en emparer.

« Cuchillo, nous sommes quittes ! » s’écria Tiburcio, qui d’un effort suprême se releva et appuya son genou sur la poitrine du bandit, tandis qu’il cherchait à tirer un poignard de sa ceinture. C’en était fait de l’agresseur ; mais un troisième personnage intervint, c’était don Estévan.

Un mouvement d’indécision, quoique rapide comme la pensée, sembla le faire hésiter s’il prendrait parti pour ou contre Tiburcio.

« Arrêtez ! cria Rosarita en poussant des cris déchirants. Arrêtez ! pour l’amour de la sainte Vierge et de tous les saints, ce jeune homme est l’hôte de mon père, la vie de ce jeune homme est sacrée sous notre toit. »

Don Estévan arrêta le bras qui allait frapper Cuchillo, et pendant que Tiburcio se retournait pour voir qui venait s’interposer entre sa vengeance et lui, Cuchillo se releva. De son côté, Tiburcio se rejeta en arrière, roula son manteau, l’avança comme un bouclier, et le corps incliné, la jambe tendue, le bras en avant à la hauteur de l’œil, dans l’attitude du lutteur antique, il semblait choisir celui qu’il allait attaquer.

« Tu appelles ça être quittes ! s’écria Cuchillo haletant encore sous l’oppression du genou qui avait si lourdement pesé sur lui, ta vie m’appartient, je ne te l’ai que prêtée, et je te la reprendrai.

— Avance, chien ! lui dit Tiburcio dont la vue de ses deux adversaires avait encore élevé l’exaltation d’un degré de plus. Avancez aussi, vous, don Estévan ! lâche assassin qui payez pour frapper des gens sans défense ! »

Une pâleur livide s’étendit sur les traits de l’Espagnol à ce sanglant outrage et à cette accusation inattendue ; il tira son poignard à son tour.

« Sus, Cuchillo, sus ! » s’écria-t-il d’un ton de fureur.

Et lui-même s’élançait vers le jeune homme. Peut-être Tiburcio allait-il succomber sous l’effort de ses deux en-