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rita, car, sans votre amour, que ferais-je de tant de richesses ? »

Tiburcio attendait la réponse de Rosarita ; cette réponse frappa ses sens comme un glas funèbre.

« Je veux bien croire que c’est une ruse de votre part pour me mettre à l’épreuve, dit la jeune fille avec un sourire auquel la transparence de la nuit prêtait un charme de plus, mais qui déchira le cœur du pauvre Tiburcio, je veux bien, dit-elle, croire à une ruse, car il serait trop odieux de penser que la trahison vous a rendu maître du secret d’un autre.

— Du secret d’un autre ! s’écria le jeune homme d’une voix rauque en reculant de surprise.

— D’un secret qui n’appartient qu’à don Estévan, reprit Rosarita, je l’ai su. »

Tiburcio tomba du haut de ses rêves. Ainsi ce secret lui était enlevé comme celle qu’il aimait. Ce secret, divulgué, anéantissait son plus doux espoir, et, pour comble de maux, c’était lui-même, lui, Tiburcio, qui n’y attachait de prix que pour elle, que doña Rosario accusait de ruse et de trahison.

« Mais ce secret, s’écria Tiburcio, je dois seul le connaître, m’a-t-on dit. Ah ! don Estévan le possède aussi !… Ah ! don Estévan alors pourra me dire qui est l’assassin de mon père ! je le haïssais déjà tant… Oh ! mon Dieu ! s’écria-t-il en frappant du pied, faites que ce soit lui-même !

— Prie Dieu plutôt qu’il te fasse grâce ! » s’écria une voix dont le son arracha à Rosarita un cri d’effroi, tandis qu’une forme noire traversait comme un trait l’espace qui séparait Tiburcio de ses deux espions.

Avant qu’il eût pu se mettre en défense, Tiburcio, heurté violemment, perdit l’équilibre et tomba ; son ennemi s’abattit sur lui.

Pendant quelques minutes les deux adversaires se roulèrent avec fureur sur le sable sans qu’un mot fût prononcé ni de part ni d’autre. On n’entendait que le bruit sourd de deux haleines oppressées. Le couteau de