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— En effet, dit-il froidement, ce jeune homme met un cheval médiocre bien au-dessus de la plus jolie fille de ces environs. »

Le bandit rongeait son frein en silence.

« Nous allons savoir, ajouta-t-il, s’il ne soupçonne pas plus l’emplacement du val d’Or que celui du paradis terrestre. »

À ces mots, qui rappelaient à Cuchillo ses mensongères assertions, il tressaillit comme le taureau lorsqu’il sent entrer dans sa chair les pointes aiguës des banderillas.

Mais jusqu’alors l’Espagnol n’avait rien appris de nouveau ; le point essentiel pour lui était que Tiburcio ne fût pas payé de retour, le reste lui importait peu. Il y avait dans l’accent de Rosarita quelque chose comme une compassion tendre envers le fils adoptif d’Arellanos ; était-ce de l’amour ? la suite de l’entretien allait le lui apprendre.

En attendant, Arechiza, satisfait d’avoir excité les mauvaises passions du bandit, jugea prudent de les maîtriser jusqu’au moment où il serait de l’intérêt de sa politique de ne plus en contenir l’explosion. Un crime commis sous ses yeux, sans que sa bouche l’eût ordonné et même consenti, devait mettre sa conscience à l’abri, et lui laissait sur Cuchillo toute l’autorité, tout l’ascendant qu’une complicité avec le bandit lui eût enlevés.

L’Espagnol comprima donc fortement le bras de Cuchillo.

« Sur le salut de notre âme, rappelez-vous, lui dit-il, que la vie de ce jeune homme est sacrée. »

Un sourire de sinistre augure assombrit encore le visage du bandit qui allait répondre.

« Chut ! dit Arechiza, écoutons ! »

Et sa main resta sur le bras de Cuchillo, mais ses regards se détournèrent de lui.

Tout ceci avait été l’affaire d’une minute ; la voix de Tiburcio se faisait entendre de nouveau après un court silence.