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flait ses narines rosées, car, au lieu de poursuivre l’avantage que d’anciens souvenirs lui donnaient, Tiburcio venait de blesser son orgueil.

« Me comprendre dans ses projets d’ambition ! dit-elle. Et qui vous dit que ce n’est pas moi, au contraire, qui daigne le comprendre dans les miens ?

— Cet étranger, reprit Tiburcio, ce don Estévan que je déteste plus encore que ce sénateur, vous a parlé, dites-vous, des plaisirs de Madrid, de ces pays fabuleux qu’on dit exister au delà de la mer, et vous désirez en juger par vos yeux.

— Je l’avoue, dit Rosarita, quoique née dans ces déserts, la vie m’y apparaît bien triste dans l’avenir. Une voix me crie que je ne suis pas faite pour mourir sans avoir pris ma part des splendeurs d’un monde qu’on m’a fait entrevoir. Hélas ! que n’aviez-vous à offrir… à mon père…

— Je comprends, Rosarita, qu’être pauvre, orphelin, malheureux, n’est pas un titre à l’amour des femmes, dit Tiburcio avec amertume.

— Vous êtes injuste, Tiburcio ; c’est presque toujours au contraire, vers ceux-là que leur instinct les pousse ; mais les pères ne partagent que rarement les idées des enfants. »

Il y avait dans ces derniers mots comme un aveu tacite que Tiburcio ne comprit pas sans doute, car il continua de se jeter à corps perdu dans des récriminations amères qui arrachèrent à la jeune fille un soupir, aussitôt étouffé, de regret de ne pas se voir comprendre à demi mot ; il y a certains cas où les femmes gémissent et s’étonnent de ne pas être devinées, elles qui devinent si juste et si vite. Un moment de silence s’établit entre les deux interlocuteurs.

« Vous l’aimez sans doute ce sénateur ! reprit Tiburcio avec son intrépide gaucherie de novice. Ne me parlez donc pas de la violence qu’on veut exercer sur vous…

— Qui vous parle de violence ? dit la jeune fille en riant