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beauté qui m’apparut, je l’avais déjà devinée au son de votre voix, au frisson qu’elle m’avait causé. »

Si, au lieu de baisser les yeux en parlant, Tiburcio les eût fixés sur doña Rosario, il eût vu dans son regard, sur son front, ce tressaillement dont le cœur n’est pas atteint peut-être, mais qu’excite chez la femme une voix émue, passionnée, qui chante un hymne à sa beauté.

Tout entier à de doux et amers souvenirs que lui seul paraissait se rappeler, tel que l’homme qui cherche à recomposer dans le cristal troublé d’un ruisseau les gracieuses images que reflétait jadis son eau limpide, Tiburcio reprit d’une voix plus douce et plus émue :

« Je n’ai pas oublié non plus ces fleurs de lianes que je cueillais pour vous, et qui me semblaient plus fraîches, plus odorantes quand elles s’étaient imprégnées du parfum de vos cheveux ! Ce doux parfum n’était-il donc qu’un poison subtil qui s’infiltrait dans mes veines et y faisait naître un amour incurable ? Fou que j’étais ! Ces campanules me disaient : « Enivre-toi, mais espère ! » Moi, je m’enivrais en espérant ! Est-il possible, Rosarita, que vous ayez oublié les souvenirs qui m’ont fait vivre jusqu’à présent ? »

Il est certaines dates indiscrètes que les femmes ne daignent pas toujours se rappeler, quelque précision qu’on mette à les indiquer. Doña Rosario se tut un instant comme si sa mémoire rebelle eût oublié le particularités que citait Tiburcio.

« Non, dit-elle enfin à voix basse pour ne pas trahir peut-être un léger tremblement, mais nous étions deux enfants alors… Aujourd’hui…

— Aujourd’hui tout cela est oublié, parce qu’un galant venu d’Arispe a daigné vous comprendre dans ses projets d’ambition. »

La voix mélodieuse de Rosarita vibra dans le silence de la nuit avec une pureté de timbre égale à celle du cristal de roche, tandis qu’une légère expression de dédain gon-