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en s’échappant de la croisée ouverte de doña Rosarita. Derrière de forts barreaux de fer, la jeune fille, vêtue de blanc et debout, dans une attitude pleine de grâce et de laisser-aller, se détachait de la baie lumineuse de la fenêtre comme une mystérieuse et charmante apparition.

Au milieu du calme d’une nuit embaumée, elle était plus séduisante encore, s’il était possible, que dans le salon de l’hacienda ; car c’est à travers les grilles de leur balcon que les femmes d’origine espagnole semblent exercer le charme le plus puissant.

Un rebozo de soie voilait sa tête, et ondulait en replis moelleux sur son cou et sur ses épaules, comme les plumes de la colombe, au gré de ses mouvements. La fenêtre, de plain-pied, ne cachait rien de sa taille élégante et laissait voir jusqu’au soulier mignon qui chaussait son joli pied. Tiburcio, le front appuyé contre les grilles, paraissait ployer sous la rigueur d’un arrêt irrévocable ou d’une conviction désespérante.

« Ah ! disait-il, je n’ai pas oublié comme vous, Rosarita, ce jour où je vous vis pour la première fois dans la forêt. Le crépuscule alors était si sombre que je ne pouvais distinguer de votre personne qu’une ombre séduisante comme celle du génie de ces bois. Déjà votre voix aussi me semblait douée d’un charme que n’avaient pas les voix que j’avais entendues jusqu’alors.

— Je n’ai pas oublié le service que vous nous rendîtes, Tiburcio, dit la jeune fille ; mais à quoi bon rappeler le temps qui n’est plus ?

— Le temps qui n’est plus ! Appelez-vous ainsi celui d’où me semble dater ma vie ? Mais ce temps n’est pas passé pour moi, il me paraît que c’était hier. » Puis, effeuillant mélancoliquement tous ses souvenirs comme on effeuille un bouquet donné par une infidèle, et dont cependant on regrette chaque fleur qu’on détruit, « quand la flamme du foyer, continua Tiburcio, éclairait petit à petit votre figure, quelque radieuse que fût la