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rappelez-vous que, si je m’abaisse à épier un homme au moment où son cœur ne doit pas avoir de secrets, c’est que des intérêts majeurs me forcent à le faire, et que ce n’est nullement pour vous convaincre d’un fait dont vous ne pouvez nier la réalité. Rappelez-vous aussi que vos projets de vengeance doivent rester subordonnés à ma volonté. »

En achevant ces derniers mots, exempts de cette raillerie qui déconcertait Cuchillo, don Estévan prit les devants, et le bandit murmura en le suivant :

« Que mon ami Baraja ne soit jamais pendu s’il n’y a pas de quoi dégoûter des bonnes actions un homme qui aurait pour ces fadaises une vocation plus déterminée que la mienne ! »

On se rappelle que don Augustin, dans sa conversation avec don Estévan, avait rapporté à ce dernier les confidences de Fray José Maria relativement à Tiburcio Arellanos.

L’Espagnol n’avait eu qu’à rapprocher les incidents relatifs au meurtrier de Marcos de la révélation que Cuchillo s’était fait payer, pour trouver le meurtrier dans l’ex-associé du gambusino. C’était une circonstance favorable d’un côté, en ce qu’elle mettait encore plus étroitement le bandit sous sa dépendance ; mais d’autre part elle n’empêchait pas que l’amour de Tiburcio pour doña Rosarita ne pût être un obstacle sérieux aux projets du noble Espagnol.

L’orage qui menaçait Tiburcio devenait donc de plus en plus formidable. Selon toute apparence, il était à la veille d’éclater, car à l’amour-propre humilié, à la cupidité alarmée, dont les voix grondaient dans le sein de Cuchillo, allait se joindre aussi, suivant le résultat de l’entrevue du jeune homme avec Rosarita, l’ambition déçue du duc de l’Armada.

Tiburcio était sorti de sa chambre avec assez de précaution pour se flatter d’avoir échappé à toute observation, surtout au moment où tous les hôtes de l’hacienda étaient retirés chez eux ; mais, comme on vient de le voir, le hasard l’avait trahi.