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s’en était rendu maître. Il avait glissé légèrement sur sa première expédition du val d’Or, au moins en ce qui concernait son associé, pour s’appesantir uniquement sur les détails les plus propres à convaincre le seigneur espagnol de l’importance de la découverte. On peut se faire une idée de sa stupéfaction, quand il vit que le désert avait parlé.

« Tiburcio sait-il cela ? demanda Cuchillo avec une angoisse mal dissimulée.

— Non ; mais il sait que l’assassin de son père avait un cheval comme le vôtre, qu’il a été blessé à la jambe, qu’il a jeté à l’eau le cadavre de son père : seulement il ignore le nom du meurtrier. Mais que je conçoive sur votre loyauté… à mon égard, le moindre soupçon, et je livre à l’instant même ce secret à ce jeune homme, qui vous écrasera comme un scorpion… Bon sang ne saurait mentir. Ainsi, je vous le répète, pas de trahison, Cuchillo, pas de perfidie, ou votre vie m’en répondra. »

« Jusqu’à ce que la tienne paye ce secret-là, se dit Cuchillo. Quant à Tiburcio, demain, à pareille heure, on pourra le confier à ses oreilles, qui déjà n’entendront plus. »

Cependant Cuchillo était de ces gens qui se remettent promptement d’un choc semblable à celui qu’il venait de recevoir.

« Quoi qu’il en soit, dit-il impudemment, Votre Seigneurie ne m’a pas prouvé que ce jeune homme aimât doña Rosario, et jusqu’à nouvel ordre je douterai que ma pénétration…

— Chut ! dit l’Espagnol, il me semble entendre ici près des voix qui se répondent. »

Tous deux se turent. En avançant dans le jardin, ils étaient parvenus non loin d’un pavillon qu’occupait la fille de l’hacendero, et telle était la tranquillité de la nuit, qu’à une assez grande distance le bruit confus des voix arrivait jusqu’à eux, sans cependant que les paroles fussent distinctes.