— Je ne parle pas de votre conscience, notez bien, celle-là ne frissonne jamais ; je ne veux parler que de ce frisson d’angoisse matérielle que la vue du jaguar produit sur l’homme, vous savez… »
Don Estévan s’arrêta ; il était bien aise, dans ses propres intérêts, d’écraser de sa supériorité un homme dont il avait mille raisons pour suspecter la fidélité. Il continua :
« Tiburcio est d’une race… il paraît être, veux-je dire, d’une race qui a l’intelligence et la force en partage, et vous êtes son ennemi mortel. Commencez-vous à comprendre ?
— Non, dit Cuchillo.
— Eh bien ! vous allez comprendre maintenant par quelques questions bien simples. Voici la première : Dans votre expédition avec Arellanos, n’aviez-vous pas un cheval qui bronchait de la jambe gauche ?
— Ah ! dit Cuchillo en pâlissant.
— Sont-ce bien les Indiens qui ont égorgé votre compagnon ?
— Ce serait moi, peut-être ! répéta le bandit avec un hideux sourire.
— N’avez-vous pas reçu, dans une lutte mortelle, une blessure à la jambe ? N’avez-vous pas porté sur vos épaules le cadavre d’Arellanos ?
— Oui, pour le soustraire aux profanations indiennes.
— Et c’est dans ce but que vous précipitâtes dans une rivière voisine ce cadavre… qui n’en était peut-être pas encore un ? »
Les clartés de la lune jetaient à travers le feuillage des grenadiers un reflet livide sur la figure du bandit qui, les yeux hagards, écoutait sans pouvoir comprendre d’où venaient ces preuves d’un meurtre qu’il croyait à jamais ensevelies dans le désert.
Il est facile de penser qu’en vendant à don Estévan la connaissance de son merveilleux secret, Cuchillo n’avait pas mis d’amour-propre à se vanter de la manière dont il