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obtuse, une peccadille ne doit pas troubler votre sommeil.

— Comment l’entendez-vous ? demanda Cuchillo, quoiqu’il sentît qu’il jouait évidemment le rôle d’un sot.

— J’entends que dans la seule bonne action que vous ayez commise, vous avez eu la main malheureuse.

— Une bonne action ! répéta Cuchillo embarrassé de savoir à quelle époque de sa vie il devait remonter pour en trouver une.

— Oui, en sauvant ce jeune homme.

— Mais c’est vous qui l’avez commise cette bonne action ; car, pour moi, elle n’était que lucrative.

— Soit. Je voulais vous prêter celle-là en dépit du proverbe qui dit qu’on ne prête qu’aux riches. Eh bien ! voilà ce que j’ai appris, moi, qui ne me pique ni de tant de scrupules ni de tant de clairvoyance que vous ! Ce jeune homme a dans sa poche l’itinéraire du val d’Or : il aime passionnément doña Rosario, pour laquelle il donnerait le val d’Or en question et tous les magnifiques chevaux du père de celle qu’il aime ; en outre il vient à cette hacienda pour s’en faire le propriétaire futur !

— Mort et sang ! s’écria Cuchillo en bondissant. Puis, ramené à plus de calme par le regard railleur de l’Espagnol :

« Cela ne peut être, dit-il, je n’aurais pas été joué de cette manière par un enfant…

— Cet enfant est un géant près de vous, Cuchillo, dit froidement Arechiza.

— C’est impossible, reprit Cuchillo exaspéré.

— Voulez-vous des preuves ?

— Certes, il me les faut, répondit-il en dissimulant sa rage.

— Vous les voulez, Cuchillo ? continua solennellement l’Espagnol ; songez qu’elles sont de nature à faire courir le frisson depuis vos pieds jusqu’à la peau de votre tête !

— Je les veux, quelles qu’elles soient, dit Cuchillo d’une voix étouffée.