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tous trois comptaient mettre en usage contre un seul homme. Cuchillo se leva et accompagna le serviteur de don Estévan. Celui-ci le guida vers une allée de grenadiers dans laquelle un homme se promenait enveloppé de son manteau.

À la clarté de la lune qui perçait le feuillage, la figure de l’Espagnol semblait avoir repris le masque de hautaine impassibilité qui cachait d’habitude la fougue de ses pensées. Au bruit des pas de Cuchillo qui arrivait, l’air farouche, l’œil brillant du feu de la vengeance, don Estévan interrompit ses méditations.

Si Cuchillo n’avait pas été préoccupé de ses propres pensées, il aurait pu voir à son arrivée le visage de l’Espagnol, empreint d’une expression railleuse.

« Vous m’avez fait mander ? dit-il à Estévan.

— Vous ne pouvez, je crois, commença celui-ci, que vous applaudir jusqu’à présent de ma discrétion. Je vous ai laissé le temps suffisant pour sonder ce jeune homme… le fils de Marcos… vous savez qui je veux dire. Eh bien ! vous l’avez sans doute pénétré de fond en comble, vous avez fouillé jusqu’au moindre repli de son cœur, vous dont la perspicacité est aussi difficile à mettre en défaut que la conscience est prompte à s’alarmer… »

Cuchillo commença à se sentir mal à l’aise sous la parole acerbe de l’Espagnol, qui aigrissait encore les blessures de son amour-propre. On a vu déjà qu’il a essayé d’exciter les soupçons d’Arechiza contre Tiburcio, en lui faisant craindre qu’il n’eût reçu quelque révélation au lit de mort de sa mère adoptive ; alors il ne pouvait compter que sur lui-même pour s’en défaire, et son astuce lui faisait chercher un allié. Mais à présent qu’il était assuré de la complicité de deux bandits de son espèce, ou peu s’en faut, il crut de sa dignité de plaider la cause contraire et de laisser croire à l’Espagnol qu’un jeune homme n’était pas de taille à lui en donner à garder.

« Eh bien ! qu’avez-vous appris ? continua don Estévan.