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J’ai, si je ne me trompe, malgré cette amitié apparente, surpris entre vous des regards d’inimitié et de défiance. »

Cuchillo raconta comment ils avaient trouvé Tiburcio à moitié mort sur la route ; il dit son nom et ce qu’en sait déjà le lecteur ; mais cette question avait rembruni encore la figure du bandit, en lui rappelant que son astuce avait échoué devant la prudence d’un jeune homme qu’il avait eu la prétention de deviner, et que ce même jeune homme l’avait fait un instant trembler sous son regard. Ramené à ses projets sinistres contre l’auteur de cette double déconvenue, projets de mort dont il avait été distrait un instant, il résolut d’associer des complices à sa vengeance.

« Vous est-il arrivé parfois, demanda-t-il en s’adressant à Diaz et à Oroche, de sacrifier, comme je l’ai fait tout à l’heure, vos passions au bien commun ?

— Sans doute, répliqua Diaz.

— Eh bien ! moi, s’écria le gambusino aux longs cheveux, emporté par la franchise la plus honorable pour son caractère, ma mauvaise étoile a voulu que je me trouvasse toujours dans la nécessité de faire le contraire.

— On est honnête homme ou on ne l’est pas, continua l’orateur, et quand on s’est donné corps et âme à une cause quelconque, on doit, comme moi, imposer silence à ses affections, à ses intérêts et même à tous les scrupules de conscience qui pourraient s’élever dans une âme délicate.

— Tout le monde sait cela, dit Baraja.

— Eh bien ! seigneurs, cette délicatesse de conscience s’alarme facilement chez moi, et j’ai besoin de votre opinion pour la rassurer. »

Les deux drôles à qui il s’adressait gardèrent encore cette fois un sérieux imperturbable.

« Supposons, poursuivit le bandit, qu’il y ait de par le monde un homme que vous aimassiez tendrement, mais dont la vie pût compromettre le succès de notre expédition ; quel parti doit-on prendre à son égard ?