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mais ces mots n’atteignent pas à distance, reprit gravement Baraja, et j’ai une langue aussi affilée que la vôtre. »

Et il tira un couteau de sa ceinture : Cuchillo en fit autant.

Oroche reprenait tranquillement son instrument, qu’il avait déposé un instant lors de l’interruption de Cuchillo, et, comme un barde des anciens temps, il s’apprêtait à chanter le combat dont il allait être témoin, quand Diaz s’interposa brusquement entre les deux champions.

« Fi donc ! seigneurs cavaliers, dit-il, des gens faits pour s’estimer mutuellement, — Cuchillo et Baraja gardèrent leur sérieux, — s’égorger pour quelques quadruples, à la veille d’aller en conquérir dix fois plus ! N’ai-je pas entendu dire, seigneur Cuchillo, que vous deviez être le guide de notre expédition ? Vous ne vous appartenez donc plus, et vous n’avez pas le droit d’exposer votre vie dans une querelle particulière. Et vous, seigneur Baraja, vous n’avez pas le droit non plus d’attenter à celle de notre guide. Ainsi, remettez vos couteaux dans leurs gaines, et qu’il ne soit plus question de rien. »

Cuchillo, rappelé à lui, songea qu’il était plus intéressé que personne au succès de l’expédition, et qu’il jouait trop gros jeu dans un combat à mort, comme le sont la plupart de ceux au couteau.

De son côté, Baraja songea aussi que les quadruples qu’il avait empochés pouvaient être mieux employés qu’à ses frais d’enterrement en cas de malheur.

« Soit, dit Cuchillo, je sacrifie ma rancune au bien de tous.

— Moi, dit Baraja, je tiens à cœur d’imiter un si noble exemple, et je désarme… mais je ne joue plus. »

Les deux couteaux rentrèrent dans le fourreau, et les deux adversaires se tendirent la main. Puis, pour écarter toute allusion à la querelle passée :

« Quel est ce jeune homme, demanda Diaz, avec qui je vous ai vu partager votre cheval, seigneur Cuchillo ?