Page:Gabriel Ferry - Le coureur des bois, Tome I, 1881.djvu/163

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

reusement pour lui, on avait pris mes ordres trop au pied de la lettre, nous étions au milieu de vastes savanes sans arbres d’aucune espèce, et l’ordre n’était pas facile à exécuter. Dans les marches et contre-marches que je fus obligé de faire, l’ordre de son exécution ne put donc être accompli de suite, il s’évada. Cuchillo n’en avait pas conservé de rancune.

« Vous m’avez vu, au village de Huerfano, renouer connaissance avec lui pour lui acheter, à beaux deniers comptants, le secret d’un immense placer, celui vers lequel je vais diriger l’expédition qui s’est formée sous mes ordres.

« Cuchillo seul, vous et moi, l’Espagnol taisait le nom de Tiburcio, connaissons maintenant le motif de cette tentative dont le but ostensible n’est qu’une nouvelle expédition du genre de celles qu’on a déjà plus d’une fois entreprises. Vous, seigneur sénateur, vous resterez ici avec la tâche bien douce de faire accueillir vos vœux par la belle Rosarita ; pour moi, je me réserve les dangers sans nombre des pays inconnus où je veux pénétrer. Quant à Cuchillo, s’il me trahit, je lui infligerai cette fois de ma main un châtiment aussi mérité que le premier, mais plus prompt, car je ne sais qui me dit que le traître n’a pas changé.

« Le produit de cette expédition, dont ma qualité de chef m’assure la plus riche part, sera joint encore aux ressources dont je puis disposer. Les hommes sous mes ordres pourront même, au besoin, se convertir en partisans dévoués, au cas probable où il faudrait en venir aux mains avant les secours qui me sont promis d’Espagne, car l’Europe en ce moment regorge de population et cherche de toutes parts à verser son trop-plein ; les aventuriers viendront en foule se ranger sous nos bannières et conquérir le nouveau royaume dont l’Europe mettra encore la couronne sur la tête d’un de ses fils. »

L’Espagnol se promenait à grands pas dans la chambre,