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faire l’aumône à l’héritier déchu de la monarchie espagnole ! Maintenant, croirez-vous, ajouta-t-il avec le sourire rayonnant d’un orgueil tranquille, qu’Estévan Arechiza peut prodiguer aux autres, sans en rien regretter, les trésors de beautés, les richesses enviées de la fille d’un hacendero mexicain ? »

Le sénateur américain aux vues étroites, aux plans égoïstes, demeurant anéanti, écrasé par cette audace de langage de l’inflexible Européen, comme devant ce projet gigantesque, ne put que s’écrier en pressant avec respect la main que lui tendait le fier Espagnol :

« Oh ! seigneur don Estévan, vous me permettrez de continuer à vous donner ce modeste titre, je rougis de mes soupçons, et, pour le bonheur que vous m’offrez, pour la perspective que vous daignez m’ouvrir, ma vie, mon cœur vous appartiennent, mais…

— Encore quelque soupçon ? dit don Estévan en souriant.

— Non, mais une crainte. Avez-vous remarqué ce jeune homme que le hasard nous a fait rencontrer ? Un secret pressentiment m’avertit que doña Rosarita est peut-être éprise de lui ; il est jeune, il est beau, et depuis longtemps ils semblent se connaître.

— Quoi ? interrompit don Estévan, ce jeune rustre déguenillé vous porte ombrage ?

— Je l’avoue, dit le sénateur, je n’ai pu m’empêcher de surprendre les yeux de doña Rosarita fixés parfois sur lui d’une manière étrange.

— Rassurez-vous, je sais d’une manière certaine par don Augustin que le cœur de sa fille est libre de toute affection, et que sa vanité se complaît à l’idée d’accepter pour mari un jeune drôle qui semble avoir toute la fierté d’un mendiant castillan ; il sera surveillé, et ce ne sera qu’un faible obstacle à écarter, en supposant qu’il ait eu l’impudence de porter si haut ses prétentions. »

En disant ces mots, la physionomie de don Estévan pa-